200/2000

| Article pour la revue Werk |  2017 |

Les murs ont des oreilles

Il ne leur manque plus que la parole…

200 prepared dc-motors, 2000 cardboard elements 70x70cm, Zimoun + Hannes Zweifel, Contemporary Art Museum Bucharest (Roumanie, 2011).

 

A première vue, l’installation intitulée abruptement 200 prepared dc-motors, 2000 cardboard elements 70x70cm (ou 200/2000), réalisée par l’artiste bernois Zimoun, ne dépareille pas de la kyrielle d’oeuvres affichant une esthétique vaguement « Do It Yourself » épurée et pullulant depuis quelques années dans l’art contemporain. Tout est en effet réuni – de l’imbrication en pseudo fractale, de plaques de carton à l’aspect « craft » issu de ce dernier – pour qu’on se livre à ce raccourci aussi prompt que galvaudé.

 

Cette installation sonore conçue en collaboration avec l’architecte Hannes Zweifel, se révèle être davantage qu’un simple hommage artisanal aux œuvres électro-acoustiques Polytopes du compositeur-architecte Iannis Xenakis, précurseur en la matière du mariage entre architecture et musique.

Davantage intelligible et purement « mécanique-acoustique », 200/2000 s’inscrit dans l’émergence d’une architecture enfin consciente et concernée par le domaine du sonore construit.

Holistique

A la confluence des genres et aux racines complexes, produire une architecture se voulant sonore, comme le font Zimoun et H. Zweifel, répond au principe hollistique cher à Vitruve, qui voyait en l’architecture une discipline hybride, nourrie par des branches allant de la médecine au droit, en passant bien sûr par l’acoustique.

C’est en effet de la collaboration artiste/architecte qu’émane la force de l’installation 200/2000.

Tous deux pratiquant leur art à Bern, dans des locaux à fort caractère communautaire – la Turnhalle pour Zimoun et un espace partagé par une menuiserie ainsi que des créatifs indépendants pour H. Zweifel -, leur binôme se réuni sporadiquement le temps d’un mandat pour une exposition : Zimoun élaborant un objet, un dispositif sonore tandis que Hannes se concentre sur l’agencement structurel et l’impact spatial de leur intervention.

3 P

Selon le compositeur Pierre Mariétan – qui a entre autre participé à des projets architecturaux accordant une prépondérance à la réflexion sonore -, un son agit et se définit suivant ses modalités de Production, de Propagation et de Perception.

L’installation 200/2000 se révèle être un modèle du genre en tant que conception architecturale sonore, revêtant simultanément le rôle triptyque d’espace de production, de propagation et de perception.

En effet, elle respecte nécessairement cette grille de lecture puisque 200/2000 a été élaboré comme telle et selon cette même grille, de conception cette fois. Si l’on peut émettre une réserve quant à sa nature d’espace architectural à proprement parler, elle incarne indubitablement un espace au sens sonore du terme : un espace à la fois comme lieu d’origine de la source sonore et comme lieu d’écoute.

Il s’agit d’un nouveau paradigme en soit, un ouvrage tantôt passif, tantôt actif sur le plan sonore, se suffisant à lui même comme pure expression d’acteur, de vecteur et de spectateur.

 De l’ensemble (la paroi) au détail (le moteur et son fil rotatif)

De architectura akoustikos

Sous couvert d’un certain iconoclasme minimaliste, Zimoun et Zweifel sont en quête du dénominateur commun de l’architecture et du son, au travers de la réalisation de cette structure de matériaux profanes dont l’agencement emprunte au vernaculaire.

Ils s’amusent en fin de compte à réinventer les éléments primaires constitutifs de l’architecture et livrent une réinterprétation protéiforme de – au choix – la paroi, le mur rideau, la persienne, le moucharabieh ou tout simplement de l’émergence d’un nouveau type de corps poreux, sonore et diffuseur.

Une synthèse entre architecture et son qui ne se cantonne pas seulement à la matière physique mais porte aussi sur l’organisation, la configuration et l’appréhension spatiale. Commun au langage musical et architectural, le rythme et la composition sont les maîtres mots de 200/2000.

Vue intérieure depuis l’entrée

Chapelle sonore

Pourtant doté d’un unique accès, cette pièce – dont le plan se résume à un simple rectangle vide – en cul de sac a pour vocation d’être arpentée dans le cadre d’une exposition. Le tour de force de Zimoun et Zweifel est d’insuffler une dimension kinesthésique à l’oeuvre, en invitant à la déambulation au gré de mises en abyme perceptives, alternant la vision et l’écoute de l’ensemble au détail.

Le visiteur, mué en « écouteur », découvre 200/2000 autant avec ses yeux que ses oreilles par le truchement de plage de silence et de séquence d’immobilisation.

L’écoute passe par le silence statique du spectateur, conditionné par la configuration panoptique et objective de la pièce issue d’un plan simple et régulier, ordonné par un appareillage non moins complexe et irrégulier.

Il règne ainsi à l’intérieur un air de solennité, prompt à l’écoute active, un instant dédié au recueillement auditif au sein de cette chapelle sonore.

« Experiencing »

La composition intervient quant à elle dans la répétition et la déclinaison d’un motif sonore identique (le choc rotatif d’un câble électrique contre une plaque de carton) exécuté simultanément par 200 sources (moteurs) distincts. La légèreté patente de l’ouvrage est ainsi contrebalancée par une densité sonore et visuelle enveloppante et inclusive.

L’effet perceptif produit (ou qualia) par cette trame sonore prégnante est un phénomène de reptation, métaphore lancinante du ruissellement de la pluie entre autre.

Au delà d’un simple espace teinté d’une ambiance naturaliste, ce sont l’acuité visuelle et auditive qui sont mobilisées en permanence, de part l’agencement de sources sonores au mouvement erratique et répétitif dont naît, in-fine, l’homogénéité symbiotique et la cohérence spatiale, visuelle et sonore de cette installation novatrice.

En résulte une architecture qui se donne autant à voir qu’à entendre : la formalisation architecturale de 200/2000 découle de sa conception sonore. Voila qui pourrait traduire cette intrication contingente par la célèbre maxime revisitée en ces termes, Form follow sound.